La paternité du prêtre
Homélie du 8 décembre 2012, fête de l’Immaculée Conception
En la fête de l’Immaculée Conception le 8 décembre 2012, Mgr Rey a ordonné prêtre Ludovic Margot et diacre Ignace à la cathédrale Notre-Dame de la Seds à Toulon.
A cette occasion, Mgr Rey a parlé de la paternité du prêtre.
La paternité du prêtre
La solennité de ce jour nous donne de contempler en la Vierge Marie un être choisi par Dieu, prémuni de la faute originelle et qui répond à son élection divine par un acte de foi sans défaut. « Que tout se passe pour moi selon ta Parole », répond elle à l’Ange.
Cette attitude d’humilité et d’abandon constitue un modèle pour tout chrétien, et en particulier pour tout candidat au sacerdoce. Celui qui est appelé aux ordres sacrés épouse la mission du Christ, et il doit s’engager à sa suite en lui remettant toutes ses facultés, toute sa liberté, tout son être, jusqu’à renoncer à lui-même, jusqu’à assumer le choix du célibat. Le prêtre met en jeu sa vie, son cœur, sa chair, ses désirs, son avenir.
Cet acte de foi radical situe le prêtre à la croisée de ce que Dieu donne, et de ce qu’il faut consentir pour recevoir ce que Dieu donne. En reprenant l’Evangile de ce jour, nous pourrions dire que le prêtre se trouve, et du côté de l’Ange Gabriel, envoyé par le Seigneur, et du côté de Marie, qui reçoit sa visite.
Oui, tout d’abord le prêtre tient la place du Christ. Il agit en son nom afin de poursuivre dans l’histoire son œuvre de salut. Sa mission est de rappeler qu’on ne peut pas vivre sans la grâce de Dieu. Qu’est-ce qu’un monde sans Dieu ? Qu’est-ce qu’un monde qui prétend se passer de Dieu ? C’est un monde orphelin et amnésique. En perdant la trace de Dieu et sa mémoire, l’individu sacralise son ego. Il se rapatrie sur des relations courtes, chaudes, immédiates, fusionnelles. Il surinvestit l’émotionnel. A l’arrière fond des projets législatifs sur le « mariage pour tous », et prochainement sur l’euthanasie (déguisée en « droit de mourir dans la dignité »), se profile cette dérive anthropocentrique quand l’homme prétend devenir son propre maître, disposer de soi, de son corps, de sa sexualité, de sa mort, manipuler la vie –fut-elle embryonnaire-, dénaturer le mariage et sa filiation. Cette volonté de bâtir une nouvelle humanité à partir de soi (cette nouvelle Tour de Babel) produit en réalité la violence. La focalisation sur la subjectivité légitime inéluctablement l’intolérance par rapport à l’autre, et donc contribue à la décomposition du tissu social. On en arrive au paradoxe que, dans un univers hypermédiatisé et en communication permanente, il n’y a jamais eu autant de solitude ! Le prêtre est un démenti à ce repli narcissique. A l’école de la Vierge Marie, il assume une vocation qui le déporte radicalement de lui-même. il n’est pas prêtre pour lui-même. Il est donné à Dieu. Il est donné aux hommes, pour leur donner le Christ. Tel est son mandat. Telle est sa paternité. Telle est sa joie, la joie de Dieu dont il goûte déjà les prémices.
Face à un monde bouclé sur lui-même, la paternité du prêtre le prédispose à la sortie de soi et au souci de l’autre. Elle témoigne ainsi de l’altérité inscrite au centre du message évangélique, et qui est indispensable à l’humanisation de notre monde : on ne peut se trouver soi-même qu’en se donnant aux autres. Le vivre ensemble n’est rendu possible qu’au prix de la charité.
En raison de sa paternité, le prêtre est messager de la proximité de Dieu. Par les sacrements qu’il célèbre, le prêtre manifeste que Dieu, en son Fils, s’approche de nous. Cette présence est vivifiante : nous la recevons au baptême ; elle est intérieure : elle nous nourrit à chaque eucharistie ; elle nous restaure à chaque confession, lorsque nous recevons le pardon de Dieu ; elle est une force, celle de l’Esprit-Saint accueillie au jour de la confirmation. Cette proximité de Dieu est aussi son actualité, puisque la Parole de Dieu, énoncée dans l’Ecriture et lue par l’Eglise, demeure continuellement efficace et prophétique. Bref, le prêtre nous dit et nous redit que Dieu est là et qu’il continue en notre histoire son Incarnation et sa Rédemption. « Il est là », disait le curé d’Ars en brandissant l’hostie. En réponse à l’invasion du virtuel et au sacre de l’imaginaire, le prêtre confesse à chaque messe le réalisme de la foi. Chaque eucharistie professe l’éternité et la permanence de Dieu toujours là, alors que prévaut autour de nous la fugacité et le diktat de l’éphémère.
Cette paternité du prêtre qui signifie cette proximité de Dieu, manifeste également que chacun de nous est unique au monde. En effet, la foi ne professe pas seulement que Dieu existe, mais aussi que chacun de nous existe aux yeux de Dieu : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime », dit le Seigneur. Oui, j’existe pour Dieu comme une personne unique, indispensable, irremplaçable, avec mon histoire singulière. Rappelons-nous à Lourdes, ces paroles sublimes de Bernadette à propos de l’apparition de la Vierge : « Elle m’a regardée comme une personne ». Ce regard aimant posé sur nous-mêmes, nous affranchit du conformisme et du mimétisme dont nous sommes l’otage, en raison de la massification des moyens de communication. Ce regard nous libère aussi du retour introspectif sur soi, et de l’hégémonie de l’ego qui caractérise notre temps. Nous n’avons pas à prouver à nous-mêmes et à convaincre les autres que nous méritons de vivre, que nous survivons à nos défaites et à nos péchés, que nous ne sommes pas démonétisés par l’âge ou par la maladie ou le jugement du monde… Jésus a donné sa vie pour chacun d’entre nous. « Tu as du prix à mes yeux », dit le Seigneur dans le livre de Samuel (1 Sa 26,24). La foi en Dieu achemine vers la foi en l’homme.
La paternité de Dieu qui s’incarne dans la paternité du prêtre, en fait un père de tous parce qu’il est d’abord père de chacun. Sa charité pastorale se vérifie dans sa capacité de porter un regard singulier sur chaque personne, quelque soit sa trajectoire humaine. Le prêtre considère chacun à partir de ce que Dieu a déjà accompli en lui et de ce qu’Il veut encore réaliser. Dans un monde de performance et de frime, son regard est désintéressé et gratuit. Il n’accapare pas, il n’emprisonne pas. Sa paternité libère du fatalisme et de la résignation car elle est remplie de l’espérance du père prodigue qui croit en la conversion toujours à vivre et au renouveau toujours possible.
C’est le poète Hölderlin qui disait que « Dieu a créé le monde, comme la mer a créé les continents : en se retirant ». Alors que l’effacement de Dieu, son silence, donne à penser à beaucoup de nos contemporains qu’Il a déserté notre histoire, ou que l’humanité devenue enfin maitresse de son destin, l’a congédié, cet effacement ouvre précisément l’espace de notre foi. Oui, Dieu se présente à nous sous le voile de la non évidence, dans la pénombre du doute, dans le clair obscur du combat. Et le prêtre occupe lui aussi cet espace qui est le lieu de la liberté humaine, de la libre adhésion, du fiat de Marie. La paternité du prêtre est éducatrice. Elle fait entrer dans l’intelligence de la foi, (dans son patrimoine). Elle donne accès à l’héritage d’expérience, de pensée, de prière, révélé par Dieu à la raison humaine et qui est le trésor de l’Eglise. Parce que raisonnable, notre foi a un contenu qui peut être exposé et transmis. Le prêtre est le pédagogue de cette vérité qu’il a fait sienne.
Chaque prêtre pourrait vous dire que son ministère le met en contact avec la part fragile de l’humanité. Lui-même se sait indigne de la mission qui lui a été confiée, tant elle dépasse ses mérites et il est bien souvent sanctifié par le témoignage de ceux qu’il est censé sanctifier. Il éprouve d’autant plus cette fragilité qu’elle est accentuée par le regard négatif que la société peut porter sur son choix de vie, parfois sur les soupçons extérieurs qui l’atteignent. Il est lui-même confident de tant de vulnérabilités qui se nomment péchés, épreuves, pauvretés, mensonges… C’est en vivant de l’Eucharistie, qu’il comprend peu à peu que ces cassures traversées par la miséricorde divine peuvent devenir des sources de fécondité pour lui-même et pour le monde.
Il y a quelques jours, je me trouvais à Rome en compagnie des évêques de la région PACA en visite ad limina. Pendant une heure, nous avons pu converser très librement avec le pape Benoît XVI. En pensant à cette Année de la foi, je me risquais à une question : « Très Saint-Père, face au défi de la sécularisation, qu’attendez-vous des prêtres ? » Et Benoît XVI me fit cette réponse à la fois surprenante et si profonde en parlant de son prédécesseur : « Il faut que le prêtre soit habité par la prière et que sa foi soit un feu incandescent ». Et il ajouta : « Comme le pape Jean-Paul II ». « A la fin de sa vie » ajouta-t-il, « Jean-Paul II a compris que le Seigneur l’appelait à vivre sa paternité à travers la souffrance. Oui, la foi du prêtre doit le consumer jusque là, jusqu’à la Croix. »
– + Dominique Rey
– 8 décembre 2012
– Cathédrale Notre-Dame de la Seds – Toulon